6 - Lodève – Lunas – Le Bousquet d'Orb
(Hérault)
Languedoc
Nuage rouge
chant du coq et pins dorés
dans la lumière du levant
Le torrent du sentier
dégringole dans la vallée.
Pour remonter en sandales
bonjour les rochers !
Dorées à la feuille
les fougères inaugurent l'automne
Beau comme
un chemin de crête sous le vent
Il n'y a pas de petites erreurs :
mauvaises chaussures
grosses blessures
périple gâché
Ici chacun sa passerelle
et son banc
pour fêter la rivière
(Lunas)
On nettoie la place après la fête -
au balayeur
je mendie l'eau
Cette feuille dans la rivière
- la grâce
du cygne dans un lac
Taillevent :
pour un tel nom
le hameau mérite citation
(Pont d'Orb)
Les terrasses neuves
de pierres callées
réjouissent le cœur
des vergers et des vignes
(Vallée de Gravezon)
Bel oiseau du sorbier
aux ailes de lumière
au long bec effilé
comme je voudrais être ta cage !
Les mines sont retournées
à l'obscurité de la terre
Sur la place du village
une lampe géante éclaire le passé
(Le Bousquet d'Orb)
Archives du blog
lundi 17 décembre 2007
Sixième étape : Lodève - Le Bousquet d'Orb
Cinquième étape : Saint-Jean-de-la-Blaquière - Grandmont - Lodève


5 - Saint-Jean-de-la-Blaquière – Grandmont – Lodève (Hérault) Languedoc La cloche mène encore le village et la marche efface les douleurs du matin Ce dolmen prie encore de ses fleurs de bruyère (dolmen d'Usclas) Des moines sans écriture il ne reste que l'architecture parfaite et dépouillée d'un prieuré sans âme (Prieuré de Saint-Michel-de-Grandmont) Près de Lodève, un haut lieu sacré domine les paysages environnants, mer, collines et vallée de l'Hérault. Permanence des lieux sacrés : on y trouve des dolmens splendides du IIe millénaire avant J-C au milieu d'un parc de daims et un magnifique prieuré du XIIe siècle, intégralement conservé. Il fut construit par des frères ermites de l'ordre de Grandmont qui disparut au XVIIe siècle. Autrefois maisons des fées autels des sacrifices les dolmens font-ils encore rêver ? Je voudrais être ce grand tombeau perché qui passe son temps - entouré par les daims - à regarder la mer (Dolmen de Grandmont) Derrière le cloître les marches creuses de l'escalier sentent des siècles de prière et plus loin les dalles du chemin recueillent dans leurs ornières la sueur des carriers (avant le village de Soumont) Les marches usées de l'escalier du cloître, aux arcanes mystérieuses, les ornières creusées par les charrettes transportant les pierres de la carrière de Soumont, toutes ces humbles traces matérielles des activités humaines, travail, prière, je les relève avec émotion. Le blanc et le noir dans la belle âme s'équilibrent Au gîte le mari peint et le labrador dévore mon pique-nique (Lodève) |
vendredi 14 décembre 2007
Quatrième étape, Saint-Guilhem-le-Désert/ Saint-Jean-de la-Blaquière



4 - Saint-Guilhem-le-Désert – Saint-Jean-de-la-Blaquière (Hérault) Languedoc A peine parti et me voici déjà à l'assaut d'un premier bout du monde ! Le matin il n'y a que les cerbères de l'enfer pour saluer le pèlerin Plus bête qu'une bête le corps est une drôle de monture Si on ne le retient pas il fait n'importe quoi Au col perte de vue - l'étrange ivresse de l'éternité et une marée noire de nuages L'oiseau qui dit huit est sans avenir – compteur bloqué toute sa vie il dira huit Entre Pioch et Puech Je louvoie en sandales - godasses sur le dos Le paysage est grand comme la mer et je n'ai aucune idée de l'endroit où le chemin me mènera Apparition furtive de mon ombre : elle indique l'ouest tout va bien A midi vent de panique chez les moucherons - les martinets attaquent Le pèlerin comme son christ marche pour rien Ces voix dans le vent ne sont que la voix du vent Bataille de guêpes et de fourmis – l'enjeu m'échappe Le soir à l'étape j'évoque Wittgenstein avec un philosophe anglais qui édite ses carnets (Saint-Jean-de-la-Blaquière) |
jeudi 13 décembre 2007
Marche et haïku
Qu'est-ce-qu'un haïku ? Le haïku est une forme poétique japonaise qui s'est épanouie au XVIIe siècle, avec en particulier un poète réputé nommé Bashô. Il se caractérise par sa brièveté : trois versets de 5 – 7 – et 5 pieds. Le haïku est d'abord un poème des saisons : il s'agit de capter les reflets du temps qui passe, de saisir dans son cycle ce qui ne se reproduira plus. Puis ses thèmes se sont élargis. C'est un poème sur des instants privilégiés. Pas d'images, pas d'abstractions, pas de rêveries, pas d'objets lointains, pas de sublime, pas d'ego. Il s'agit de dire la chose comme elle est, notre présence au monde ici et maintenant, le surgissement de l'inattendu et son ravissement. Simplicité apparente de cette conversion au réel. Le haïku sert une évidence, limpide, immédiate et éphémère. Il est l'éclat du mouvant. C'est l'art de la simplicité, de la légèreté, de la concision. Il est imprégné de bouddhisme zen, comme la calligraphie ou l'art des jardins. Le thèmes bouddhistes en sont sous-jacents : l'impermanence, l'adhésion à ce qui est, le mystère du monde, l'union avec la nature. Dans et par sa simplicité il a un pouvoir d'éveil, il vise une ouverture, voire une illumination. Haïku et marche. Cette forme poétique est favorisée par la marche qui rapproche de la nature, des sensations infimes qu'elle inspire. Bashô était un marcheur, un moine nomade : "Chaque jour, en voyage, faire du voyage sa demeure." Il a inventé le journal de voyage poétique. Le haïku est par excellence la poésie de la marche à pied. C'est un excellent outil pour ratisser les sensations. Je me suis inspiré de cette idée alliant marche et haïku pour faire un diaire poétique de mon cheminement à Compostelle. Ces textes ne sont pas de vrais haïkus, puisque ce sont des vers libres et que j'utilise des images et quelques abstractions. Le haïku n'était-il pas lui-même une poésie libre qui s'était délivrée des contraintes de la poésie officielle d'alors ? Je me suis inspiré et de son esprit et de sa liberté. Faisant flèche de toutes situations et de toutes sensations, je me suis voulu le griot des chemins écrivant par touches et pincées d'images ce que j'ai recueilli et accueilli en moi, perçu et ruminé au cours de mes journées de marche. Autrefois, on appelait les photos des instantanés. Mes pseudo-haïkus sont des instantanés pris sur le vif ou sur le motif comme disaient les peintres impressionnistes. Voir le nouveau dans l'ordinaire, le trésor caché dans l'instant, c'est bien une affaire de regard. Boire chaque matin le réel à la source et en formuler sa fraîcheur, tels furent mes plus grands plaisirs. Dire la lumière éphémère des herbes, le merveilleux suspendu à une goutte de rosée jusqu'à l'heure des lumières de cendre et du gouffre noir. Le fruit du vide et de la solitude. Cet objectif d'écriture fut un extraordinaire compagnon de voyage justifiant la solitude de mon cheminement. Les discussions avec des compagnons de rencontre excluaient de fait toute production. Je les ai volontairement limitées, m'imposant une certaine ascèse pour être le plus possible vide et réceptif à tout ce qui advenait de la nature et du temps. Pour écrire des haïkus, la bonne attitude est de ne rien faire, de ne rien penser pour être attentif à l'imprévu, à l'affût du singulier, du furtif, du transitoire. Au jour le jour, j'ai aiguisé ma conscience pour regarder ce que je voyais, écouter ce que j'entendais - le rythme et la lenteur de la marche permettant de chercher la bonne formule des instants vécus. Grâce à la marche et au haïku j'ai développé ma présence au monde, en compagnie de quelques poètes dont l'histoire jalonne, de loin en loin, le chemin. |
3ème étape Montarnaud - Saint-Guilhem-le-Désert
3 - Montarnaud – Saint-Guilhem-le-Désert
(Hérault)
Languedoc
Le drap propre du ciel
les parfums de la garrigue
la fraîcheur des chênes :
le corps oublie ses pieds !
Au pied du tronc
- dans sa loupe -
le cerveau du chêne
A quoi prend garde
la tour des vignes ?
(La Boissière)
La cigale mue -
elle aussi
est pèlegrine
Suivre la voie
quitter la voie -
même pour Confucius
ce serait du chinois !
Rouge vert bleu
le vallon
en habit du dimanche
Au midi chaud
le glas
Pensées noires
sur les toits du village
(Aniane)
le Pont du Diable :
il y a belle lurette
qu'il ne relie plus
les âmes des moines
Ici, l'été,
la religion du corps
Guillaume, le saint matamore
"expert dans les choses de la guerre"[1]
a terminé sa route
dans un val désert
(Saint-Guilhem-le-Désert)
Il fallait une sacrée auréole pour peupler la coulée verte
du cirque de l'enfer
(Saint-Guilhem-le-Désert)
"Les cardabelles [2]
préviennent de la pluie
en refermant leur cœur"
(anonyme)
Les carpes de l'abbaye
ne vivent-elles
que de pièces de monnaie ?
(Abbaye de Gellone)
Dans un paysage d'eau
des truites
sans rivage ni horizon
[1] - Aimery Picaud, "Le Guide du Pèlerin", XIIe siècle
[2] - Ou carline, chardon à grandes feuilles et sans tige des lieux secs.
lundi 10 décembre 2007
Deuxième étape Saint-Gilles - Vauvert
2 - Saint-Gilles – Vauvert
(Gard)
Languedoc
Le dit du raisin :
le pampre de la vigne
ne s'est pas tortillé en vain
Dans le peuple du verger
les arbres se lient
contre le vent
Au mas du Coutelier
le gris des oliviers
tranche le vert des vignes
Entre vigne et canal
le chemin droit du plat pays -
sans barrière pour le vent
Avant d'éclater
l'orage fait ses choux gras
de la lumière
La cigale des vignes -
mon passage
ne la dérange pas
Ici
les bambous
sont la voix du vent
Au lieu de monter
les ceps tirent droit
vers l'horizon
Le chemin creux
recueille en ses mains résinées
les pignes des pins-boule
Ces grandes fleurs jaunes ?
Des échappées
du pays de cocagne
A quoi sert
- une langue bien pendue ?
- à se faire des ennemis
- des chaussures trop neuves ?
- à se blesser les pieds
- des vieilles idées ?
- à se rendre malheureux
Dialogue de pèlerins :
- Ça va tes ampoules ?
- - et toi, ta tendinite ?
Seule fourmi du chemin pèlerin -
quelle nourriture dois-je apporteret à quelle reine ?
vendredi 7 décembre 2007
Première étape, Arles - Saint-Gilles
Instantanés du Chemin d'Arles
à
Compostelle
Dans l'absolu de l'instant, le monde.
Livre-promenade
Jean-Claude Barbier
pèlerin de la poésie.
Du 16 août au 9 octobre 2006,
55 étapes
Quand la chaleur est tombée,
il est temps de prendre
le chemin du grand large
Première étape : Arles – Saint-Gilles
(Bouches-du-Rhône – Gard)
Provence - Camargue
Le tremble est la maison du vent
Les roseaux en frissonnant
lui demandent la route
Les mouettes des rizières
les roseaux, les bambous :
la Camargue est sœur
du pays des haïku
Après le mas du Grand Pan
ne pas suivre
la piste des trompe-gueux
Ces pailles brunes
comme des libellules
butinent le riz et sa rosée
Un pique-bœuf
sur un cheval !
Quelqu'un s'est trompé
Les canaux d'eaux mortes
donnent vie
aux rizières asséchées
Après le silence des marais
le chant des cigales
au bord du petit Rhône
Cette abbatiale immense
pour le tombeau d'un guérisseur -
et si seule dans la nuit
(Saint-Gilles)
La nuit,
la cloche égrène le silence
par deux fois